Par Adel Omouri, Médecin

Quand on parle de « schizophrénie », Fight Club ou Psychose émergent dans l’imaginaire collectif. C’est pourtant une erreur : ces films mettent en scène le trouble dissociatif de l’identité, beaucoup plus rare. Ce côté « multi-faces » de la schizophrénie découle en fait de tous les aspects qu’elle peut revêtir, et sur lesquels nous allons faire lumière.

Homme qui hurle le poing levé

C’est quoi au juste ?

Données actuelles de la science

Alors qu’on la décrit depuis plus d’un siècle et qu’elle concerne pas moins de 1% de la population, on a encore du mal à donner une définition tranchée de cette maladie. Ceci s’explique par un fait simple : d’un patient à l’autre, les symptômes peuvent être radicalement différents. On distingue tout de même trois « tableaux » prédominants :

– le syndrome positif : ce sont des hallucinations (images, sons, sensations perçues mais inexistantes) et des délires (idées infondées mais auxquelles les patients adhèrent). Les patients peuvent rapporter directement ces phénomènes, ou y réagir, parfois violemment (fugue, obéissance à une « voix » qui ordonne de sauter par la fenêtre, agressivité…). Le terme de schizophrénie paranoïde désigne la forme de la maladie où ce syndrome est prédominant.

– le syndrome négatif : les pensées du patient ralentissent à l’extrême, ce qui se ressent sur la façon de parler et de répondre (qui devient pauvre, hachée, évasive). Ceci peut aussi s’exprimer par le comportement : les patients restent alors enfermés voire alités en permanence à ne rien faire et à ne voir personne.

– le syndrome de désorganisation : les pensées perdent complètement leur cohérence. Pour garder l’exemple de la parole, les phrases consécutives n’ont plus aucun rapport entre elles, et même les différentes parties d’une phrase peuvent être désaccordées. On parle parfois de relâchement associatif. Lorsque ce syndrome prédomine sur les autres, on parle de schizophrénie hébéphrénique.

Outre ces trois syndromes de base, on peut retrouver au cours de la schizophrénie la perte de l’évidence naturelle. Ce concept, développé par Wolfgang Blankenburg en 1991 dans “Phänomenologie als Grundlagendisziplin der Psychiatrie” (La phénoménologie en tant que discipline fondatrice de la psychiatrie), exprime un fait simple : au cours de cette maladie, le patient ne sait plus ce qui est évident. En particulier, les patients peuvent échouer à distinguer ce qui fait partie d’eux de ce qui leur est extérieur (ce qui peut expliquer par exemple le phénomène de voix intrusives). Les très récents travaux d’Anne Giersch (INSERM) mettent en évidence une altération de la prédiction temporelle (socle de la capacité à percevoir les événements comme consécutifs et liés les uns aux autres) : cette altération pourrait bien être à l’origine du phénomène décrit par Blankenburg3 et plus généralement du syndrome de désorganisation. Ceci ouvre d’ailleurs de nouvelles pistes de recherche pour mieux comprendre et combattre la schizophrénie.

Enfin, les patients peuvent aussi expérimenter des troubles de l’humeur, des idées suicidaires… En somme, tous les domaines de la santé mentale peuvent être perturbés.

Plusieurs théories ont été formulées pour expliquer l’origine de la schizophrénie, mais on ne connaît pas de déclencheur clair. Vraisemblablement, il s’agit d’une maladie plurifactorielle. On cite une prédisposition génétique (héréditaire ou non), la consommation de cannabis1, ou encore les contextes psycho-sociaux délétères (migration en contexte de guerre, par exemple). Dans tous les cas, des altérations de la structure du cerveau ont été observées chez des patients atteints (2).

Comme vu plus haut, le tableau clinique de la schizophrénie peut varier extrêmement d’un patient à l’autre. Ce n’est pas dû qu’aux types de symptômes : la gravité n’est pas non plus la même d’une personne à une autre. Il serait donc long et fastidieux de donner un aperçu de tous les vécus possibles, mais voici quelques exemples :

– les hallucinations peuvent être vécues comme des situations de menace permanente (il est assez rare qu’elles aient une connotation positive). Certains patients voient une personne les poursuivre partout, d’autres entendent des avertissements sur les gens autour d’eux, comme un « il veut te tuer » à la simple vue d’un inconnu. Ces voix intrusives peuvent être entendues comme « c’est dans ma tête mais je sais que ça vient pas de moi » ou « comme si quelqu’un parlait à côté de moi, mais il n’y a personne ».

– les idées délirantes varient presque autant que les patients. Un thème récurrent est celui du contact avec le divin, la conviction d’avoir reçu une illumination qui justifie un comportement parfaitement incongru. Dans un autre registre, les patients peuvent par exemple être convaincus que les présentateurs essaient de leur faire passer un message en présentant le journal à la TV (on parle d’idée de référence).

À la difficulté à gérer les symptômes s’ajoutent les contraintes liées aux traitements. La schizophrénie nécessite en effet une prise médicamenteuse régulière et longue (minimum 2 ans, parfois à vie). Les altérations psychiques liées à la maladie peuvent en plus faire perdre de vue aux patients la nécessité des médicaments, ou même les convaincre qu’il s’agit d’une tentative d’empoisonnement. Un concert délicat entre le médecin traitant, le psychiatre, l’infirmier et la famille s’avère souvent nécessaire pour assurer la bonne prise des médicaments le temps que le fonctionnement mental s’améliore. C’est encore plus vrai lorsqu’il est nécessaire de changer les prescriptions à cause d’un effet secondaire ou d’une inefficacité…

Enfin, l’impact social est tout sauf négligeable. Les proches des patients atteints de schizophrénie peuvent avoir l’impression de ne plus reconnaître la personne, de ne plus se sentir en sécurité à sa proximité. Les périodes où les symptômes sont intenses peuvent par ailleurs dresser encore un obstacle à la compréhension de ce que ressent le patient. Les hospitalisations, parfois récurrentes et longues, n’aident pas à maintenir un cercle d’amis ou des relations familiales satisfaisants. Et si les médicaments font effet et que la personne revient à un état proche de celui auquel on est habitué, la question « mais si ça recommençait ? » subsiste et peut inquiéter.

Les recherches sur cette maladie continuent activement et les éléments explicatifs se multiplient. Les médicaments sont de mieux en mieux maîtrisés et connus. D’où la nécessité de prendre son traitement de façon régulière – rien que ça, c’est déjà colossal.

Pour le patient, des groupes d’entraide mutuelle (les GEM) existent dans toutes les villes en France où des anciens patients ayant réussi à vivre avec la maladie organisent des rencontres où les patients échangent sur ce qu’ils vivent, leurs symptômes et sur la manière dont chacun y fait face au jour le jour. Ce sont des aides précieuses qui permettent aux patients de constater qu’ils ne sont pas les seuls et aident à sortir de l’isolement social et affectif.

Pour les proches, l’un des points les plus difficiles à accepter est que l’intérêt du patient peut être servi par des actes douloureux pour lui : hospitalisation sans consentement, secteur fermé… Pour cela, en tant que proche et en tant que patient, il est important d’avoir une relation de confiance avec le psychiatre, meilleur conseiller possible dans ces situations.

Enfin, et c’est vrai pour toutes les pathologies chroniques, veillez à prendre soin de vous. « L’aide aux aidants », cruciale, consiste à ménager les proches pour mieux soigner les patients. Si vous-mêmes pensez ne pas disposer du soutien nécessaire auprès de votre famille pour répartir les rôles, les assistantes sociales, les psychiatres de secteurs sont autant d’alliés vers lesquels vous tourner.

Il existe de nombreuses associations qui mènent des actions d’information et de sensibilisation. Le site https://www.ma-schizophrenie.com/ regroupe à la fois des noms d’associations et des conseils pour mieux vivre la maladie ou aider son proche atteint de schizophrénie.

Sources

1 : Brice Martin, Nicolas Franck, Michel Cermolacce, Agnès Falco, Anabel Benair, Estelle Etienne, Sébastien Weibel, Jennifer T. Coull & Anne Giersch : Fragile temporal prediction in patients with schizophrenia is related to minimal self disorders

2 : Hall W, Degenhardt L, Teesson M : Cannabis use and psychotic disorders: an update

3 : Lynn E. DeLisi, MD & al. : Understanding structural brain changes in schizophrenia

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