Nous percevons le goût et l’odorat dès notre vie intra-utérine. A environ 21 semaines, le foetus est capable de différencier les odeurs et les goûts auxquels il a accès à travers le liquide amniotique. Qu’il inhale et avale directement. La composition du liquide amniotique est influencée par les substances. Avec lesquelles la mère s’alimente, respire, ou qu’elle applique sur la peau. Mais le goût n’étant pas que inné, il est essentiel de développer l’apprentissage du goût et de construire celui ci dès le plus jeune âge.

Une mère qui donne à manger à son bébé

Quels facteurs influencent l’apprentissage du goût ?

Un apprentissage du goût dès le plus jeune âge

Il existe une caractéristique innée chez tous les nourrissons observées, et reproductible dans des milieux culturels différents. Les nouveaux-nés préfèrent d’emblée la saveur sucrée et manifestent une aversion pour les saveurs amère et acide. Cette préférence semble capitale pour la survie de l’individu car le lait maternel est composé majoritairement de glucides (75g/L). Et les aliments toxiques sont souvent de saveur amère.

Le milieu socio-culturelle et l’expérience

L’activité alimentaire ne répond pas qu’à une logique biologique. Notre rapport à l’apprentissage du goût est avant tout sensoriel et affectif. Qui plus est, le jugement affectif (« c’est bon » ou « c’est mauvais »), interprétation du message sensoriel, est conditionné par plusieurs éléments. Tout d’abord notre psychologie, puis notre milieu socio-culturel et enfin notre expérience. Issu de longs moments de partage et de communion, cette longue aventure est jalonnée de transmission autant que d’apprentissage.

“ Pour que l’aliment soit bon à manger, il faut qu’il soit bon à penser” écrivait Lévi-Strauss.

S’il n’est pas que inné, le goût s’apprend et se construit, dès la vie intra-utérine à travers le liquide amniotique et se poursuit avec l’allaitement. Des recherches récentes de l’Inra ont montré, selon Sylvie Issanchou directrice de recherche, qu’un enfant allaité pendant au moins un mois acceptait plus facilement les nouveaux aliments lors des premières semaines de la diversification alimentaire (à partir de l’âge de 6 mois). Qu’un enfant nourri au lait en poudre.(5) Tout simplement parce que la mère ayant une alimentation diversifiée, « son lait peut avoir un goût différent d’un jour à l’autre et même d’une tétée à l’autre », et le nourrisson est habitué à changer de goût.

Autre exemple, une expérience avait été menée entre des enfants français et des enfants allemands, de l’âge de la diversification alimentaire (5-6 mois) à 6 ans. Les enfants français soumis à une plus grande diversification alimentaire que les enfants allemands. Dont les mères suivaient des règles de monotonie alimentaire, ont des capacités d’adaptation supérieures face à des aliments nouveaux. (1)

Entre inné et acquis, c’est comme s’il existait une oscillation lente entre ces 2 pôles pour constituer au milieu de nos récepteurs gustatifs uniques. L’appropriation et l’actualisation sans cesse renouvelée de notre palette gustative, et ce de la vie intra-utérine jusqu’au 4ème âge.

Donner du sens au goût grâce à la mémoire

Ce que nous percevons du monde extérieur par nos sens se transforme dans notre cerveau en sensations et impressions qui vont construire nos souvenirs, mais aussi modifier sans cesse ceux que nous possédions déjà. Ce sont nos souvenirs qui nous permettent d’interpréter nos sensations, de les lier entre elles, autrement dit la mémoire permet de donner du sens à l’apprentissage du goût.

S’il est vrai que sans activité sensorielle, il n’y a pas de mémoire.Il est vrai également que, sans mémoire, l’activité sensorielle ne serait qu’un déferlement bruyant et stérile d’informations. Avec la mémoire, cette cascade de stimulations devient souvenirs, apprentissages, culture. (2)

Aimer ou ne pas aimer un aliment, « est largement déterminé par notre mémoire » et est « rarement présent dès la naissance », a ainsi expliqué Leri Morin, auteur d’une recherche pour l’Inra. L’exemple de la madeleine de Proust l’illustre bien et éclaire autre chose, la mémoire olfactive est la plus résistante dans le temps ! 

L’éducation au service du goût 

L’éducation permet également de définir le seuil de perception de ces saveurs qui est variable selon la consommation que l’on en fait. Ceci signifie que l’on peut apprendre à aimer l’amertume, et que l’on peut augmenter son seuil de perception. Pour le salé et le sucré par une augmentation de la quantité consommée.

La notion de familiarité est très importante dans la nourriture et se constate dans l’éducation gustative que l’on peut donner aux enfants car plus on présentera un aliment à un enfant (sans le forcer), plus il l’appréciera.

Et le plaisir dans tout ça ? 

Pendant des siècles, le plaisir de manger était apporté par l’abondance de nourriture. Le plaisir des plats copieux et des banquets interminables. Nous étions alors plus dans le quantitatif. Depuis un siècle, la cuisine faite à la maison est devenue plus qualitative et diversifiée grâce aux nouvelles normes alimentaires, la mondialisation. Alors qu’en parallèle on ne peut pas tenir le même discours quant il s’agit de junk food ou d’alimentation hyperdiscount…

Toujours est-il qu’en France, on garde une culture du “bien manger” qu’on ne retrouve pas ailleurs. Malgré la mondialisation du XXième siècle, la France garde une culture très atypique par rapport à nos amis Anglais et Américains. Ces derniers ont une relation très individualiste par rapport à l’alimentation alors que les français, eux, gardent le plaisir de manger en famille, de convivialité avec un lien social très important. Le partage du plaisir de manger ensemble augmente notre plaisir psychologique, notre sentiment de bien être. Nous restons un des rares pays où les personnes rentrent chez eux pour manger le midi alors que le snacking est le maître mot dans bien d’autre pays.

Plaisir ou bon pour la santé ?

Inutile de parler à des enfants ou des ados que c’est bon pour leur santé et que cela leur évitera un cancer ou des maladies cardio-vasculaires. Des études comportementales ont montré que cela faisait tout l’effet contraire. Et que cela rebutait nos enfants/adolescents au lieu de les encourager.(3) En terme d’alimentation, il vaut mieux donc éviter de trop intervenir ! Et plutôt de mettre en avant l’aspect sensoriel et le plaisir de manger pour stimuler ses jeunes papilles en devenir.

Manger ne nous permet pas simplement de vivre mais aussi de vivre heureux. Alors à nous de trouver un juste équilibre pour que le plaisir et le partage de la bonne table fassent bon ménage. Avec un comportement alimentaire avisé pour mieux préserver le capital santé dont nous avons hérité 😉

“Pascaline d’omble chevalier ; fine escalope pochée dans une infusion d’herbes fraîches au poivre de Madagascar, gelée au vin de paille ; bouquet d’écrevisses lié d’un sabayon au cédrat ; Le biscuit soufflé à la vanille : vanille de Tahiti, cassate napolitaine, spirale de caramel à l’angélique, petit biscuit tiède” (4)

1 : Maier-Nöth, A., Schaal, B., Leathwood, P., & Issanchou, S. (2016). The lasting influences of early food-related variety experience: a longitudinal study of vegetable acceptance from 5 months to 6 years in two populations. PloS one11(3), e0151356.

2 : Nicole Mazô-Darné, « Mémoriser grâce à nos sens », Cahiers de l’APLIUT [En ligne], Vol. XXV N° 2 | 2006, mis en ligne le 10 avril 2012, consulté le 11 mai 2017. URL : http://apliut.revues.org/2456 ; DOI : 10.4000/apliut.2456

3 : Werle, C. O., & Cuny, C. (2012). The boomerang effect of mandatory sanitary messages to prevent obesity. Marketing Letters23(3), 883-891.

4 : Chanson : Slowfood (P. Gagnaire/F. Franchitti – N. Muller – L. Muller – J.B. Mory) / © Naïve 2002

Par le Léa Magiore, Médecin Généraliste

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